Plan Mattei, la souricière de Giorgia Meloni pour l’Afrique
La présidente du Conseil italien, qui a invité les dirigeants du continent à Rome les 28 et 29 janvier, leur promet un partenariat « d’égal à égal ». La réalité est moins rose : Meloni entend avant tout montrer comment un gouvernement d’extrême droite gère la question migratoire en Europe.
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Ghazi Ben Ahmed
Fondateur de l’Initiative méditerranéenne pour le développement
À l’occasion du Sommet Italie-Afrique, qui se tiendra à Rome les 28 et 29 janvier, Giorgia Meloni, la présidente du Conseil italien, dévoilera son Plan Mattei. Autrement dit, sa stratégie pour l’Afrique.
Ce plan, qui porte le nom d’Enrico Mattei, le fondateur du groupe énergétique italien ENI, repose sur un vaste programme d’investissements et de partenariats, dont les détails demeurent abstraits et vagues. En septembre 2023, à la tribune de l’ONU, la dirigeante italienne l’avait présenté comme « une alternative sérieuse au phénomène de l’immigration de masse ».
Le calcul électoral de Meloni
L’objectif officiel est de sécuriser les approvisionnements énergétiques de l’Union européenne (UE) tout en aidant les pays africains à se développer de manière accélérée afin de freiner les flux migratoires. À moins de six mois des élections européennes, tout laisse à croire, cependant, que le véritable objectif de Meloni n’est pas tant de séduire les États africains avec un énième projet de coopération fondé sur des « partenariats d’égal à égal » que de montrer aux électeurs européens ce qu’un gouvernement d’extrême droite peut faire pour contrôler l’immigration et assurer la sécurité.
Le mémorandum que l’UE et la Tunisie ont signé, le 16 juillet 2023, sous l’égide de Meloni en a donné un avant-goût. Cet accord migratoire ad hoc, inhumain, revient à externaliser la défense des côtes italiennes, à déporter et à abandonner les migrants dans les déserts libyen et algérien, le tout financé avec de l’argent européen. Une honte pour tous les signataires. Or c’est ce modèle que le Plan Mattei voudrait généraliser.
L’immigration illégale sera l’un des thèmes clés des élections européennes de juin prochain. C’est justement cette perspective qui fait peur aux conservateurs européens et qui a poussé la Commission européenne et les États membres à signer, après plusieurs années de blocage, le Pacte européen sur la migration et l’asile.
Pourtant, et pour peu qu’elle soit correctement gérée, l’immigration représente une richesse, pas un fardeau. Giorgia Meloni, elle, s’en sert, dans une Italie vieillissante, pour braquer l’opinion et pour gagner des voix aux élections européennes.
Présenté comme un axe stratégique, le Plan Mattei entraîne Rome dans une nouvelle dynamique de coopération avec l’Afrique. Le 10 janvier, le Parlement italien a ratifié un décret-loi qui affirme la détermination de l’Italie à renforcer ses relations avec le continent africain. Le gouvernement Meloni prône une relation d’égal à égal avec ses partenaires africains, positionne l’Italie comme un futur hub entre l’Afrique du Nord et l’UE pour la distribution de l’énergie, et propose un nouveau modèle de coopération (« post-colonialiste » et « non paternaliste ») entre l’Europe et les États africains.
Inquiétude des ONG
Le Plan Mattei embrasse des domaines d’intervention variés. Son financement soulève pourtant bien des questions. En octobre 2023, lors d’une visite au Mozambique, Giorgia Meloni a suggéré que le Fonds italien pour le climat vienne soutenir ce plan. Mais diverses ONG italiennes et internationales, opposées au Plan Mattei, redoutent que ce fonds, censé financer des initiatives dans le domaine de la lutte contre le changement climatique, ne serve en réalité qu’à financer de nouvelles explorations pétrolières et gazières – d’autant que le groupe ENI est très présent en Afrique.
Le ministère de l’Environnement a récemment annoncé la création d’un comité d’orientation destiné au Fonds italien pour le climat. Géré par la Cassa Depositi e Prestiti, il est chargé d’élaborer un plan d’investissements. Mais les énergies durables et renouvelables tant vantées dans les discours ne semblent pas prioritaires, et il semble plutôt que l’on tente d’orienter l’Italie vers une économie centrée sur le gaz – ce qui pourrait compromettre la transition vers un modèle énergétique propre et renouvelable, pourtant essentiel pour assurer aux pays africains un développement durable.
Le Plan Mattei s’articule autour du concept de sécurité, et vise à établir une large collaboration multi-sectorielle entre l’Italie et les pays africains. Il n’empêche : réduire la sécurité à la question migratoire relève d’une interprétation erronée, voire dangereuse. Qualifier l’immigration de menace va à l’encontre des données factuelles, et sert plutôt de levier politique que l’on actionne pour attiser les peurs et consolider des postures autoritaires. Cette approche, souvent exploitée par les gouvernements de droite à des fins électorales, aggrave les problèmes au lieu de les résoudre.
Les approches populistes et répressives, qui déshumanisent les migrants, ne sont ni morales ni même efficaces. Il est essentiel de reconnaître que l’immigration, lorsqu’elle est correctement gérée, peut devenir un atout. Il faut donc se détourner des stratégies fondées sur la peur, et s’orienter vers des politiques qui valorisent la dignité humaine et le développement mutuel.
Principes humanitaires bafoués
Compte tenu de l’urgence humanitaire, le traitement que le gouvernement Meloni réserve aux migrants est source de préoccupation profonde. La tragédie de Cutro [survenu en février 2023, au large des côtes calabraises], où tant d’âmes innocentes [94 personnes, dont 35 mineurs] ont disparu tragiquement, a mis en lumière la responsabilité accablante de l’Italie. Ce drame a mis à nu une politique où les intérêts économiques et électoraux priment – et de loin – les principes éthiques et humanitaires. Il est impératif de contester ce type de gouvernement, qui criminalise les actes de solidarité, et urgent d’envisager des solutions où la dignité de chaque individu est au cœur des politiques migratoires.
Alors que des nations comme la Tunisie résistent à la pression et refusent de devenir les sentinelles frontalières de l’Europe, l’échec de projets tels que celui des Britanniques au Rwanda, démontre que la solution ne réside pas dans l’externalisation de la gestion des flux migratoires.
En outre, politique énergétique et dynamiques migratoires doivent être dissociées, car la géographie des ressources naturelles ne correspond pas toujours à celle des migrations. Pour avancer, il serait judicieux de revitaliser des initiatives telles que le processus de Barcelone, qui misait sur une Méditerranée unifiée et prospère – une vision que les bouleversements des Printemps arabes et l’inertie européenne ont laissée inachevée.
Pour que le discours sur l’immigration redevienne conforme aux droit international (et notamment à la Charte de Genève), il faut s’inscrire dans une perspective pleinement respectueuse des droits humains. L’initiative du think tank MDI, au Parlement européen, vise à créer des centres de mobilité entre l’Afrique et l’UE, et à généraliser des programmes tels que Talent Partnerships et EU Talent Pool. Il est impératif d’élaborer un plan stratégique qui favorise la coopération Afrique-Europe en matière de mobilité humaine. La question migratoire doit être gérée dans le cadre des besoins des économies européennes et ne pas être instrumentalisée à des fins électorales.