Qui donc songerait encore à contester aux États-Unis leur vocation de grande démocratie ? Réponse : ceux qui ont fondé des espoirs démesurés sur la fronde anti-israélienne apparue au sein du parti présidentiel, lequel répond d’ailleurs au nom de démocrate. Ou encore ceux qui ne se sont jamais laissé prendre aux larmes de crocodile versées sur les victimes de la boucherie dans le même temps que les charitables pleureuses alimentaient jusqu’à satiété la machine de mort israélienne. Voici maintenant que c’est à la démocratie des autres qu’en appelle ironiquement une administration Biden impuissante à brider la folie meurtrière de Benjamin Netanyahu.
Ce que vient d’entreprendre en effet l’Amérique, c’est d’offrir une tribune de choix à ceux des dirigeants israéliens qui sont en profond désaccord avec la manière dont Bibi conduit sa guerre contre le Hamas palestinien. Simultanément au Liban où elle s’active pour empêcher un élargissement du conflit, la diplomatie américaine s’est mise, pour la première fois, à l’écoute de ceux qui ne veulent pas entendre parler de guerre tout court et qui, sur ce point précis, ne font qu’exprimer fidèlement l’opinion de l’écrasante majorité du peuple libanais.
Parti de sa propre initiative à Washington sans en aviser à temps la hiérarchie, Benny Gantz, ancien chef de l’état-major et ancien ministre de la Défense, n’a franchement rien d’un archange de paix. Membre sans portefeuille, mais fort influent, du cabinet de guerre, il est néanmoins et surtout un sérieux rival politique de Netanyahu qu’il éclipse dans les sondages et dont il désapprouve la gestion maladroitement musclée du dossier des otages, ainsi que le manque de stratégie claire pour l’après-Gaza. Reçu tour à tour, dès lundi, par la vice-présidente, le conseiller présidentiel à la sécurité nationale et le secrétaire d’État, Gantz devait donc exposer ses vues sur ces trois dossiers qui tiennent à cœur aux Américains : un accord négocié sur les otages, un cessez-le-feu temporaire et l’assistance à la population de Gaza.
Voilà qui en fait d’ores et déjà un interlocuteur agréé, sinon privilégié, de l’Oncle Sam, dans l’éventualité d’élections anticipées. Il n’est peut-être pas le seul à prendre du galon : la veille de s’entretenir avec l’hôte israélien, Kamala Harris, en campagne aux côtés de Biden pour un second mandat, n’avait pas mâché ses mots pour dénoncer les inexcusables entraves apportées à l’acheminement de l’aide humanitaire. Rien que pour ce salutaire coup de gueule, on la verrait bien prendre un jour la tête du ticket démocrate…
Pour ce forcing diplomatique mené tambour battant, le Liban, quant à lui, aura eu affaire à son Américain préféré, le fringant Amos Hochstein, artisan de l’accord sur la délimitation de notre frontière maritime avec Israël où il servit dans sa jeunesse comme tankiste. Comme l’ont fait nombre d’éminents visiteurs étrangers, mais avec sans doute de meilleures chances d’être entendu, le conseiller très spécial de la Maison-Blanche a mis en garde contre les risques, chaque jour accrus, d’une guerre dévastatrice, affirmant qu’il n’y avait pas de place cette fois pour les demi-solutions. Comme il est d’usage quand on évoque le bâton, la carotte n’était pas absente du propos, en l’occurrence la perspective d’une existence plus tranquille pour tout le monde.
Là où Hochstein a innové cependant, c’est en élargissant le cercle de ses contacts locaux, en allant à la rencontre des forces d’opposition, en les invitant à faire entendre plus fort la vox populi prise en otage par la milice. Tout cela pour que puisse émerger un pouvoir de décision véritablement national. Mais n’est-ce pas trop présumer des prodiges dont est réellement capable le Dear Amos, dont on attend maintenant qu’il change l’eau de mer en bonne et sereine terre de paix ?