En faisant bombarder lundi le consulat iranien à Damas, le Premier ministre d’Israël n’a pas seulement élargi le cercle des protagonistes effectifs de la guerre de Gaza en y intégrant d’autorité une République islamique confortablement cantonnée, à ce jour, dans un rôle de tireur de ficelles. De régionale qu’est actuellement la zone de conflit, il cherche visiblement à lui accoler des prolongements carrément planétaires ; c’est dans la cour des grands qu’il veut, à l’évidence, transposer le sanglant match de Gaza, quitte à forcer la main à son allié américain, et même à titiller cette autre superpuissance qu’est la Russie.
Rarement revendiquées, les frappes israéliennes contre les gardiens de la révolution et leurs auxiliaires sont certes monnaie courante. C’est la toute première fois pourtant que l’État hébreu – qui collectionne, il est vrai, les violations les plus criantes des lois internationales – se hasarde à attaquer un site diplomatique protégé par ces mêmes conventions. Largement condamné à travers le monde, le raid de lundi ne manque pas toutefois de plonger dans l’embarras plus d’une capitale. À commencer par Téhéran.
Jamais auparavant, en effet, le régime iranien ne s’est trouvé aussi implacablement invité, sinon acculé, à répondre à l’affront autrement que par procuration : à croiser le fer en main propre, à visage découvert, et non plus par Hezbollah ou houthis interposés. Tenu de sauver la face, se promettant de riposter en temps voulu mais hésitant à franchir le pas fatidique, Téhéran joue pour le moment la carte diplomatique, et en appelle fort civilement aux Nations unies. En revanche et conformément à la tradition, c’est au Grand Satan américain que l’Iran impute une grande part de responsabilité dans cette agression : lequel Américain s’est empressé de jurer ses grands dieux qu’il n’était pas au parfum ! D’autant plus inopportune est, de fait, la crise pour l’administration Biden qu’elle survient en pleins pourparlers irano-US visant précisément à réduire les tensions dans la région.
Au demeurant, la gêne n’est pas moindre du côté du Kremlin. Non content de s’élever contre l’attaque, jugée inacceptable, Moscou s’est dévoué pour demander et obtenir dès hier une réunion publique du Conseil de sécurité visant à condamner celle-ci. Tant de zèle ne saurait faire oublier cependant qu’il y a des années déjà que les aviations russe et israélienne, pourtant vouées à des missions on ne peut plus contradictoires, se partagent à l’amiable l’espace aérien de Syrie, le ballet de chasseurs bombardiers étant parfaitement réglé. Serait-ce dès lors pour dédouaner son précieux allié russe que la Syrie a tenu à préciser que les missiles israéliens ont été tirés depuis le ciel du Golan occupé ?
Dès le moment où il lançait son expédition contre les auteurs du Déluge d’al-Aqsa, le forcené Netanyahu n’a cessé de bousculer toutes les lignes rouges, tant géopolitiques que morales. Son propre avenir étant en jeu, on savait déjà qu’il aspirait à une guerre longue, assez longue en tout cas pour lui donner le temps de rétablir sa position interne ; pour cette raison voit-on un État, qui en l’espace de six jours terrassait en 1967 trois armées arabes, piétiner depuis six mois dans la mer de sang versé à Gaza. Voilà maintenant qu’il faut à Bibi une guerre large, assez ample et échancrée pour contenir l’Iran et même, idéalement, le colosse américain. À défaut, le bourreau de Gaza se satisferait peut-être d’une équipée au Liban où il a d’ailleurs entrepris de redéfinir à son goût les règles d’engagement.
Reste à se demander par quelle aberration les hérauts du front de diversion ouvert à notre frontière sud ont pu se jeter à pieds joints dans une partie aussi visiblement truquée.