Ce 65e épisode du Brief est un peu particulier : pas moins de trois chefs d’État africains ont accordé des entretiens exclusifs à Jeune Afrique.
1 – Paul Kagame : « Personne ne m’intimidera avec des menaces de sanctions »

2 – João Lourenço : « Pour que la paix revienne en RDC, il n’y a pas d’autre solution que le dialogue »

3 – Brice Clotaire Oligui Nguema : « Je continuerai à prendre mes responsabilités pour le bien du Gabon »

4 – Côte d’Ivoire : Damana Pickass, proche de Laurent Gbagbo, condamné à dix ans de prison

5 – Cryptomonnaies au Maroc : le raz de marée continue

1 – Paul Kagame : « Personne ne m’intimidera avec des menaces de sanctions »

Bukavu dans le viseur ? Les rebelles du M23 et leurs alliés rwandais, après avoir pris Goma, continuent leur progression dans l’est de la RDC. Après avoir annoncé, de manière unilatérale, l’instauration d’un cessez-le-feu, le M23 a en effet repris son offensive en direction de Bukavu, principale ville du Sud-Kivu. À Burkavu, la population se prépare à une éventuelle attaque : certains barricadent leurs habitations ou magasins, d’autres prennent le chemin de la fuite.

À Genève, le Haut commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, a dit craindre le pire. Il a notamment assuré que ses équipes étaient en train d’enquêter sur les « multiples allégations de viols, de viols collectifs et d’esclavages sexuels à travers la zone de combat ».  « Si rien n’est fait, le pire est peut-être encore à venir pour les habitants de l’est, mais aussi au-delà de la RDC », a-t-il mis en garde, insistant sur le fait que le risque d’un embrasement régional n’avait « jamais été aussi élevé ».

Sommet de la dernière chance ? Le sommet extraordinaire qui doit se tenir ce samedi 8 février à Dar es Salam, en Tanzanie, sous l’égide conjoint de la Communauté des États d’Afrique de l’Est (EAC) et de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), revêt une importance cruciale.

La présence annoncée des présidents congolais et rwandais, Félix Tshisekedi et Paul Kagame, n’avait, à l’heure où nous écrivions ces lignes, pas été remise en cause. Les discussions, lors desquelles seront également les président kényan, William Ruot, et sud-africain, Cyril Ramaphosa, risque d’être particulièrement tendues.

Le président rwandais a affirmé, en milieu de semaine, avoir échangé avec Antonio Costa, président du Conseil européen, à l’issue de laquelle ils avaient tous deux convenus de « la nécessité d’une désescalade efficace et d’une résolution du conflit qui donne la priorité au dialogue politique », pour reprendre les mots du chefs de l’État rwandais. Faut-il y voir une volonté d’apaisement, à la veille des discussions à Dar es Salam ?

Analyses, reportages, interviews et infographies : toutes nos informations sur la situation dans l’est de la RDC sont à retrouver sur notre page dédiée.

Et aussi…

2 – João Lourenço : « Pour que la paix revienne en RDC, il n’y a pas d’autre solution que le dialogue »

Plaidoyer pour un dialogue. Le président angolais, João Lourenço, qui a également accordé un entretien à Jeune Afrique en amont du sommet de l’Union africaine dont il s’apprête à devenir le président en exercice, est également revenu longuement sur la situation dans l’est de la RDC. Le chef de l’État, qui conduit depuis deux ans le « processus de Luanda », une tentative de médiation entre la RDC et le Rwanda placée sous l’égide de l’ONU, n’a pu que dresser le constat de l’échec de ces discussions.

« Je suis convaincu que la reprise du dialogue en vue de la signature d’un accord de paix demeure possible », veut-il cependant croire. Et pour le chef de l’État angolais, cette reprise du dialogue passe notamment par « la nécessité de parler à toutes les parties, y compris au M23 », ce que le président congolais, Félix Tshisekedi, considère comme une « ligne rouge ».

João Lourenço juge par ailleurs qu’il convient de reprendre les pourparlers à partir des conclusions sur lesquelles semblaient s’être retrouvées Kinshasa et Kigali, mi-décembre : « L’accord du Rwanda sur le retrait de ses troupes du territoire congolais et l’engagement de la RDC de neutraliser les FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda]. »

Vers un troisième mandat ? Alors que certaines voix s’élèvent en Angola pour mettre en cause l’éventuelle intention de João Lourenço à briguer un troisième mandat, lors de la présidentielle de 2027, ce dernier a balayé les spéculations d’un revers de main.

« Cette question n’a rien de délicat. Pour la simple et bonne raison que, si la Constitution impose une chose, il n’y a qu’à obéir. S’il y avait eu une intention de la part du MPLA de changer la Constitution, il aurait été tout indiqué de le faire durant mon premier mandat, quand le parti disposait de la majorité qualifiée à l’Assemblée nationale », assure-t-il, tout en confiant avoir déjà commencé à réfléchir à son successeur. « Je ne donnerai évidemment pas de nom, mais ce devra être quelqu’un qui serve le pays aussi bien et même, dans la mesure du possible, mieux que moi. »

3 – Brice Clotaire Oligui Nguema : « Je continuerai à prendre mes responsabilités pour le bien du Gabon » 

Fier de son bilan. Auteur d’un coup d’État militaire et « tombeur » d’Ali Bongo Ondimba, Brice Clotaire Oligui Nguema s’emploie, depuis qu’il a pris le pouvoir au Gabon, à construire sa stature d’homme d’État. Si le président de la transition n’est, pour l’heure, pas officiellement candidat, il ne fait guère de doute qu’il briguera la magistrature suprême lors de la présidentielle d’avril prochain.

Dans l’entretien exclusif qu’il a accordé à Jeune Afrique, il s’applique à défendre son bilan à la tête du pays. « L’économie gabonaise se relève de la gestion catastrophique de l’ancien régime. L’activité repart, certes pas à la vitesse que je souhaite, mais elle repart. La confiance des investisseurs renaît et le pays est en chantier. […] Le chômage, mon obsession, commence à reculer. Les salaires des fonctionnaires sont payés en temps et en heure. De même pour les retraites », liste-t-il notamment.

Dans les starting-blocks. Candidat ou pas ? « Je n’en ai pas manifesté l’intention à ce jour », répond-il. Mais, tout au long de l’entretien, c’est une ébauche de programme qu’il dessine en réalité. Avec, pour étendard, un patriotisme plus que revendiqué. « Ma démarche n’est pas partisane, mon objectif est de dépasser les clivages anciens et je ne connais qu’une seule bannière : notre drapeau. »

Mais Brice Clotaire Oligui Nguema le sait, s’il se présente et veut convaincre les Gabonais, c’est sur le terrain économique et social qu’il sera jugé. « Il n’y a pas de recette miracle. Mais il y a des solutions qui ont fait leurs preuves. Il nous faut notamment accélérer la diversification de notre économie et identifier les chaînes de valeur pour les booster », explose-t-il, évoquant par ailleurs la nécessité de « parvenir à garantir un meilleur climat des affaires en luttant sans relâche contre la corruption et la mauvaise gestion ».

4 – Côte d’Ivoire : Damana Pickass, proche de Laurent Gbagbo, condamné à dix ans de prison

Atteinte à la sûreté de l’État. C’est un très proche de Laurent Gbagbo qui a été condamné, le 12 février, par la justice ivoirienne. Damana Pickass, vice-président du conseil stratégique et politique du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) a été reconnu coupable, notamment, d’atteinte à la sûreté de l’État. Il a écopé d’une peine de dix ans d’emprisonnement, peine assortie d’une interdiction de séjour de cinq ans sur le territoire ivoirien. Cette peine, en revanche, n’a pas été assortie d’un mandat de dépôt. Damana Pickass, qui a décidé de faire appel, est donc ressorti libre du tribunal.

Preuve de la charge politique très forte de cette condamnation : une grande partie de l’état-major du parti de Laurent Gbagbo était présente quand le verdict a été prononcé, lors d’une audience que nous raconte Alain Aka, correspondant de Jeune Afrique à Abidjan.

Mercenaires libériens. L’affaire pour laquelle ce fidèle de Laurent Gbagbo a été condamné en première instance fait écho à la crise post-électorale de 2010-2011. Les faits remontent à la nuit du 20 au 21 avril 2011, lorsqu’un bataillon de l’armée ivoirienne est attaqué par des hommes armés de fusils automatiques. L’assaut ne fera aucune victime du côté des soldats ivoiriens, mais trois des assaillants seront tués.

L’enquête mènera à l’interpellation de « personnes qui n’ont jamais accepté la défaite électorale de 2010 et qui ont décidé de tout mettre en œuvre pour renverser le régime en place en utilisant tous les moyens illégaux », a déclaré le procureur. L’un d’entre eux, qui a avoué avoir participé à l’organisation de ces attaques, a également chargé très lourdement Damana Pickass, l’accusant d’avoir eu un rôle clé, en particulier dans le recrutement de mercenaires libériens via une prophétesse du nom de Joséphine Gninimplou. Ce que ce dernier a nié avec force tout au long du procès.

5 – Le raz de marée des cryptomonnaies au Maroc

Un interdit contourné. Les cryptomonnaies sont, en théorie, interdites au Maroc. Une loi en ce sens a été promulguée en 2017. Mais visiblement, les Marocains adeptes de ces cryptodevises n’en font pas grand cas. En 2022, déjà, le royaume chérifien était à la 20e place mondiale des pays où le taux de pénétration des monnaies virtuelles est le plus fort.

Et la tendance se confirme, comme le montre l’analyse que nous publions cette semaine sur Jeune Afrique.

Pas moins de 5 % de la population marocaine détient aujourd’hui des cryptomonnaies. Et, entre juin 2023 et juin 2024, le volume des transactions au Maroc a atteint 12,7 milliards de dollars (12,1 milliards d’euros).

Nigérians en tête. Si les Marocains sont particulièrement friands de cryptomonnaies, ce sont les Nigérians qui, sur le continent, sont les champions : ils sont 104 millions à posséder des monnaies virtuelles. Soit quasiment deux fois plus qu’ils ne l’étaient en 2019.

Le royaume va-t-il revoir sa législation ? A priori, oui : en novembre dernier, Abdellatif Jouahri, le gouverneur de Bank Al-Maghrib, a affirmé qu’une loi était en préparation pour encadrer les cryptoactifs. Il ne s’agirait donc plus de l’interdire purement et simplement.