« Les pertes économiques au Liban-Sud ne sont rien en comparaison avec les énormes pertes israéliennes. » Lors d’un discours prononcé le 14 mars courant, le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah a évoqué l’ampleur des pertes occasionnées par les combats frontaliers. Selon lui, elles seraient minimes au Liban-Sud, mais particulièrement lourdes du côté israélien. Le leader chiite s’est toutefois abstenu de donner des chiffres susceptibles d’évaluer les dommages de part et d’autre (le centre de recherche du Hezbollah affirme d’ailleurs n’avoir mené aucune étude là-dessus). En effet, à ce jour, aucune statistique officielle n’est disponible, d’autant que la guerre se poursuit. Toutefois, contrairement aux dires de Hassan Nasrallah, les estimations du coût des destructions et l’impact du pilonnage sur les champs agricoles incendiés côté libanais sont déjà assez lourdes.
Des deux côtés de la frontière, des chiffres précis sur l’ampleur des dégâts sont cependant difficiles à obtenir, selon les experts et les économistes interrogés. Ces derniers ne peuvent fournir pour le moment que des approximations tirées des données disponibles en sources ouvertes. « Nous n’avons aucune étude pour l’heure. C’est encore tôt », explique Toufic Gaspard, économiste. Côté israélien, la presse estime que 70 % des propriétaires d’entreprise ont quitté les villes et villages du Nord, laissant leurs compagnies plus ou moins à l’abandon. Seule l’armée est présente dans la région.
Six millions de dollars de pertes par jour
Le Liban-Sud est lui aussi une région à laquelle journalistes et experts ne peuvent accéder sans la supervision du Hezbollah. « Ils ne peuvent voir que ce que le parti veut bien leur montrer », indique Khalil Helou, un stratège militaire. À ce jour, seules quelques études préliminaires effectuées par des sociétés de sondage ont fourni des indications sur l’ampleur des dégâts dans cette région agricole par excellence, un secteur qui fait vivre plusieurs dizaines de milliers de familles. Information International évoque des pertes qui ont atteint à ce jour un milliard trois cent cinquante millions de dollars en matière de destructions totales ou partielles et de pertes indirectes affectant l’économie libanaise. « Dans les premiers jours des combats, l’activité économique a connu un recul important de 20 à 25 % », indique à L’OLJ Mohammad Chamseddine, directeur des recherches dans cet institut de sondage. L’activité économique aurait toutefois progressivement repris par la suite de manière plus ou moins normale avec un recul récemment évalué à 10 % seulement, toujours selon Information International.
« Le Liban perd en moyenne 6 millions de dollars par jour depuis le début des combats transfrontaliers. Par conséquent, les pertes totales sont estimées à plus d’un milliard de dollars », indique M. Chamseddine. Ce chiffre est même revu à la hausse par le ministre sortant de l’Agriculture Abbas Hajj Hassan (proche du mouvement Amal, allié du Hezbollah ), qui, dans un entretien récemment accordé au quotidien égyptien al-Dustour, a estimé les pertes du seul secteur agricole à « plusieurs milliards de dollars », soulignant toutefois qu’il s’agit d’un chiffre global difficile à vérifier tant que la guerre se poursuit. L’agriculture est un secteur économique important, représentant jusqu’à 80 % du PIB de la région du Liban-Sud, selon un rapport du PNUD publié en décembre 2023.
Selon le Conseil national pour la recherche scientifique (CNRS), les incendies ont ravagé à ce jour 10 millions de mètres carrés de forêts, de champs d’oliviers et autres plantations. Selon Abbas Hajj Hassan, au moins 50 000 oliviers ont été perdus. « Nombreux sont les habitants du Sud, notamment à Aïtaroun, Blida et Meis el-Jabal, qui n’ont pas pu profiter de la cueillette des olives. Les cultivateurs de tabac ne pourront pas non plus planter cette année puisqu’ils ne peuvent pas accéder à leur terrain », ajoute M. Chamseddine. La quantité de production de tabac dans les localités frontalières du Sud varie entre 2 millions et 2,5 millions de kilos. Selon des données obtenues auprès de Statistics Lebanon, la proportion de production de tabac dans ces localités est de 55 % par rapport à la production globale du pays, de quoi générer 12 millions de dollars de revenus à la région. « Les bâtiments détruits peuvent être reconstruits, mais les dommages sur le secteur agricole sont quasi irréversibles. Il faudra des années pour réparer les dégâts », déplore un diplomate occidental.
Selon Statistics Lebanon, dans le seul secteur des fruits et agrumes, les exportations ont reculé de 60 %. D’autant que, sur une superficie cultivée de 7 500 hectares, le Sud génère à lui seul 72 % des revenus de ce secteur (16 250 000 dollars sur 22 500 000 dollars au total).
Outre l’agriculture, les destructions totales ou partielles d’unités résidentielles concernent entre 7 000 unités (selon M. Chamseddine) et 9 000 (selon Rabih Habre, fondateur de Statistics Lebanon). Il faut également compter 21 usines ou sociétés industrielles ou commerciales qui ont été partiellement ou totalement détruites, telles que l’usine d’aluminium à Nabatiyé et la zone industrielle à Ghaziyé, près de Saïda, comprenant notamment des entrepôts de barils de pétrole. Les bombardements israéliens ont également détruit à ce jour au moins six supermarchés, mis hors service plusieurs puits artésiens et fermes d’élevage, et endommagé une pléthore de panneaux solaires récemment installés. Il faudrait aussi compter les pertes indirectes dues à la fermeture des magasins, sociétés et commerces au Sud, que Statistics Lebanon a estimées proches de 300 millions de dollars. Une facture salée dans un pays déjà ravagé par cinq ans de crise économique.