Que peuvent donc avoir à se dire une milice vouée à la lutte contre Israël et une monarchie arabe en état de paix active avec ce dernier ?
Le tout récent voyage à Abou Dhabi de Wafic Safa, négociateur en chef de la milice pro-iranienne, n’a pas fini de susciter les interrogations les plus diverses. Officiellement, il s’agirait d’obtenir la libération d’une douzaine de citoyens libanais détenus à perpétuité pour leurs liens, notamment financiers, avec le Hezbollah, que l’État des Émirats arabes unis considère comme une organisation terroriste. En échange, la riche principauté pétrolière qui ambitionne de jouer un rôle diplomatique d’envergure régionale serait assurée de rouvrir prochainement son ambassade à Beyrouth sans nulle crainte d’attentats.
Voit-on là l’éclosion d’un Qatar bis, par référence à cette autre monarchie arabe du Golfe aux amitiés diversifiées au plus haut point, où les maîtres espions américains, israéliens et égyptiens, tous bienvenus, planchent en ce moment sur un échange d’otages et de prisonniers en marge de la fournaise de Gaza ? Oui et non. Car si le Qatar finance le Hamas dont il héberge le patron dans le plus grand luxe, les EAU ont de tout autres desseins, dans la perspective de l’après-Gaza. Entretenant déjà d’étroits rapports économiques et sécuritaires avec l’État hébreu, les Émirats unis – business is business – songent déjà à la future reconstruction du secteur en ruine ; mieux encore, ils gardent au chaud leur poulain pour la gouvernance de Gaza, l’ancien maître-espion palestinien lui-même natif des lieux, Mohammad Dahlan.
Et le Liban, peuple et État, dans tout ce remue-ménage ? Otage, comme le commande elle aussi la rime : un otage embarqué bien malgré lui dans le conflit de Gaza sans que ses dirigeants ne semblent s’en porter plus mal. Qu’il s’agisse des ressortissants libanais embastillés ou des garanties de sécurité dues à toute représentation diplomatique étrangère, les gens du pitoyable pouvoir ont essuyé le camouflet sans se fendre du moindre commentaire. Il est vrai (ah, la force de l’habitude !) que pas un seul des gouvernements formés depuis la fin de la guerre n’a jamais osé œuvrer au retour des centaines de citoyens emmenés en captivité en Syrie, et dont les survivants présumés croupissent encore dans les geôles des Assad père et fils. Quant aux ambassades étrangères, et par une bien étrange inversion des rôles, les dirigeants libanais sont tout juste bons à leur mendier protection contre Israël qui menace de ramener le Liban à l’âge de pierre. À implorer une réactivation des résolutions onusiennes que l’ennemi n’est guère seul, en réalité, à violer outrageusement. À attendre comme manne céleste une assistance financière internationale pourtant tributaire de ces réformes structurelles auxquelles ils ne se sont jamais résignés.
Ces dirigeants-là qui ne dirigent pas grand-chose, leur seule réalisation concrète aura été de refouler le Liban en queue de la liste des pays heureux publiée par les Nations unies. Pour ce haut fait qui résume tout, on ne les décriera jamais assez.
Issa GORAIEB