Quel meilleur décor et terrain de jeu que les Etats-Unis de Trump pour évaluer l’héritage du texte de Simone de Beauvoir… Les discours comme les politiques ultraconservatrices du 47e président américain font reculer les droits chèrement obtenus des femmes. Représentations mythiques des femmes dans la culture, exploitation économique, données biologiques, éducation, rapport au corps et à la sexualité, institution du mariage, homosexualité, tous les thèmes importants du livre sont scrutés.
Au fil des 56 villes qu’elle visite au pas de charge, Simone de Beauvoir observe, rencontre et note dans un carnet – elle en fera L’Amérique au jour le jour (Gallimard, 1948) – les réflexions qui nourriront aussi l’écriture du Deuxième Sexe, faisant des femmes, pour la première fois, l’objet d’une histoire, d’une anthropologie et d’une sociologie.
Modernité et limites
Les textes de la philosophe, lus dans le documentaire par l’actrice césarisée Noémie Merlant (pour son rôle dans L’Innocent, de Louis Garrel, en 2023), brillent toujours par leur modernité, comme le parcours de Simone de Beauvoir qui perle dans ses interventions télévisées, et que l’on prend un plaisir complice à réécouter. Mais la force du film réside bien sûr dans la capacité de celui-ci à démontrer les limites de la pensée de Simone de Beauvoir et à en dévoiler les points aveugles.
Pour cela, Nathalie Masduraud et Valérie Urrea ont réuni les héritières de cette dernière, des philosophes dont les travaux animent aujourd’hui les études de genre : Silvia Federici et ses travaux sur la division sexuée du travail et l’exploitation des femmes dans le système capitaliste (Caliban et la sorcière, 2004, Entremonde/Senonevero, 2014) ou Judith Butler, théoricienne de la performativité du genre (Trouble dans le genre, 1990, La Découverte, 2005).
La contribution de la politologue Françoise Vergès, critique du féminisme occidentalo-centré, est peut-être la plus précieuse en ce qu’elle résume à la fois la force et les limites du positionnement de Simone de Beauvoir. Avec les historiennes Laure Murat, Kellie Carter Jackson ou Caitlin Keliiaa, qui apportent les savoirs restés dans l’angle mort de la « bible du féminisme », elles tracent les perspectives d’une suite.
Illustrant les mutations du regard posé sur les femmes, les documentaristes nous emmènent également au cœur de la fabrication de Home//Made, vibrante œuvre photographique sur les familles transgenres, par l’artiste Epli. Interrogée elle-même sur la portée de son œuvre, Simone de Beauvoir répond : « Le Deuxième Sexe a peut-être aidé certaines femmes à prendre conscience de leur condition, mais je ne crois pas que les livres aient jamais suffi. »
“Le Deuxième Sexe”. Sur les traces de Simone de Beauvoir, documentaire de Nathalie Masduraud et Valérie Urrea (Fr., 2024, 93 min). Disponible à la demande sur Arte.tv jusqu’au 7 octobre 2025.