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22 Marzo 2024« Ce qui se passe aujourd’hui est semblable à ce qui avait précédé la Déclaration des évêques maronites (qui avait appelé en septembre 2000 au retrait des troupes syriennes, quelques mois après la libération du Liban-Sud). » C’est ainsi qu’une personnalité proche du patriarcat maronite résume pour L’Orient-Le Jour les efforts déployés à l’heure actuelle par le patriarche Béchara Raï pour rapprocher les points de vue entre les protagonistes chrétiens sur des questions jugées « existentielles » pour la communauté. Si le processus a été entamé il y a quelques mois déjà, on est encore loin du compte. Preuve en est, le document qui devrait résumer la vision unifiée des chrétiens face aux défis qu’affrontent le Liban n’a toujours pas vu le jour et fait l’objet de discussions et réunions entre les parties concernées. Celles-ci convergent pourtant sur les grandes lignes du texte, notamment la nécessité de l’élection rapide d’un président de la République en respectant le mécanisme constitutionnel, et non à travers le dialogue tel que voulu par le président de la Chambre, Nabih Berry.
C’est dans ce cadre que s’inscrit la réunion tenue jeudi – la troisième en deux semaines et une quatrième est prévue dans une quinzaine de jours – à Bkerké sous la houlette de Mgr Raï avec des représentants des partis chrétiens majoritaires, en présence de l’évêque maronite d’Antélias, Mgr Antoine Bou Najm, qui avait été mandaté par le patriarche pour mener les contacts avec les protagonistes concernés. Ont également participé à la réunion Fady Karam, député Forces libanaises du Koura, ainsi que son collègue du Courant patriotique libre, Georges Atallah. Antoine Constantine, conseiller de Gebran Bassil, a également représenté le parti aouniste. À son tour, le chef des Kataëb, Samy Gemayel, a délégué son conseiller, Sassine Sassine, à la réunion, aux côtés d’Édouard Tayoun, avocat représentant Michel Moawad, député et ex-candidat de l’opposition à la présidentielle. Il y avait aussi François Zaatar, représentant le Parti national libéral (de Camille Dory Chamoun). Pour sa part, Habib Charles Malek a représenté Neemat Frem, député dont la candidature à la magistrature suprême a été, à un moment donné, évoquée.
Les participants ont discuté « pour la dernière fois », selon une source informée, le « Document de Bkerké » portant sur la vision chrétienne pour le pays et son avenir. Selon les informations de L’OLJ, le texte évoque trois grands thèmes : le premier porte sur l’identité du Liban et l’importance du message de coexistence islamo-chrétienne qu’il véhicule au monde. Le second porte sur les dangers qui guettent le pays au vu « de la volonté de certaines parties de le transformer en une île isolée de son entourage arabe et de mettre la main sur le Liban et sa décision souveraine en le menant unilatéralement vers des guerres », pour reprendre les termes d’une personnalité proche de Bkerké qui a préféré garder l’anonymat. Selon elle, le texte met en lumière l’importance de consacrer le principe du monopole étatique du port des armes, dans une critique à peine voilée de l’arsenal du Hezbollah, un dossier qui devrait, selon Bkerké, être discuté dans le cadre de l’élaboration d’une stratégie de défense nationale.
Pour ce qui est du troisième volet du document, il s’attarde sur les solutions à mettre en place en quête d’un redressement économique et politique du pays. Le document stipule que cela débute par l’élection d’un chef de l’État tel que prévu dans la Constitution. « Il y a un mécanisme clair qui devrait être respecté », commente une personnalité proche des participants à la réunion, rejetant le dialogue élargi auquel appelle le président de la Chambre. L’écrasante majorité des partis chrétiens s’aligne donc sur la position du patriarche Raï sur ce plan. Devant les ambassadeurs des pays membres du quintette impliqué dans le dossier libanais (États-Unis, France, Arabie saoudite, Égypte et Qatar), le prélat s’était monté clair dans son niet catégorique à tout dialogue élargi avant la tenue du scrutin. Un point sur lequel convergent les FL et leur principal adversaire chrétien, le CPL. « Nous sommes pour les concertations (informelles) entre protagonistes. Mais nous sommes contre Nabih Berry dans ses efforts pour faire de la table du dialogue une sorte d’institution en bonne et due forme au sein de laquelle serait discutée toute échéance présidentielle », explique Eddy Maalouf, ancien député CPL.
Même son de cloche du côté de Samir Geagea, « Il n’y a de solution (pour débloquer) la présidentielle que dans la tenue de l’élection », a écrit le chef des FL sur la plateforme X. « Quiconque dit que l’élection présidentielle est impossible sans dialogue dit clairement : “Si vous n’acceptez pas mon candidat, il n’y aura pas de président’’. C’est totalement inacceptable », a-t-il fustigé. « Que les choses soient claires : la présidentielle est une élection. Constitutionnellement, c’est une élection, et dans la pratique il s’agit d’une élection, qu’il y ait des arrangements préalables ou non », a ajouté le chef des FL.
Les Marada boycottent
La réunion a donc montré que l’écrasante majorité des chrétiens est d’accord sur les grands principes et l’importance d’élire un président. Mais pourquoi le « Document de Bkerké » n’a-t-il pas été rendu public ? « D’abord, parce que la version sujette aux discussions n’est pas finale. Ensuite parce que le dialogue avec les Marada (de Sleiman Frangié) se poursuit », confie une source informée. Le parti du candidat du tandem chiite à la présidence était en effet le seul à boycotter la rencontre de jeudi, ainsi que les réunions préparatoires. « Ce n’est pas de cette façon que les chrétiens devraient régler les problèmes du pays », explique un proche de M. Frangié sous couvert d’anonymat. Il confie que les Marada ont pris connaissance du document lors de deux réunions avec Mgr Bou Najm. « Mais c’est un texte qui ne pourra pas être mis en application », déplore-t-il, sans plus de détails. Dans les milieux proches des rédacteurs du document, on rejette ce qu’on appelle « la logique exclusivement chrétienne dans l’approche des Marada ». « D’autant que des intellectuels de toutes les communautés religieuses ont donné leur avis », précise une source informée.
Interrogée sur la prochaine étape, elle se contente de souligner que c’est Mgr Raï qui devra en décider une fois le document finalisé. En attendant, le patriarche va-t-il convoquer les leaders chrétiens à une réunion, tel que proposé par M. Bassil, pour plancher sur ce que ce dernier appelle « le partenariat équitable » ? « L’heure est à la démarche (de Bkerké) qui n’a rien à voir avec M. Bassil », répond le proche de Mgr Raï.