Le coup de gueule semble avoir produit ses effets. Deux semaines après les propos incendiaires tenus par l’ancien président de la République et fondateur du Courant patriotique libre, Michel Aoun, contre le Hezbollah, critiquant son aventurisme au Liban-Sud, le message a bien été reçu par le parti chiite. Jeudi, une délégation officielle présidée par le chef du bloc parlementaire du parti chiite, Mohammad Raad, s’est rendue au domicile de M. Aoun pour tenter de recoller les morceaux, alors que le divorce entre les deux formations semble de plus en plus irréversible.
Les tensions se sont accrues entre les deux formations ces derniers mois, en raison de leurs positions respectives au sujet de la présidentielle (le parti chiite soutient le chef des Marada Sleiman Frangié dans cette bataille, au grand dam de la formation aouniste) et des liens étroits du Hezbollah avec le mouvement Amal, un parti fortement critiqué par le CPL. En outre, depuis le début de la guerre à Gaza et des hostilités à la frontière libano-israélienne, Michel Aoun et Gebran Bassil, son gendre et actuel dirigeant du CPL, critiquent de plus en plus les opérations militaires menées par le Hezbollah contre Israël en soutien à Gaza.
Du côté de Rabié, motus et bouche cousue sur la teneur de la réunion. Seul le Hezbollah s’est officiellement exprimé. « La communication existante » entre M. Aoun et le Hezbollah « n’a jamais été interrompue dans le passé et ne le sera jamais », a déclaré M. Raad. Une situation qui « rassure et tranquillise le peuple libanais de toutes les régions et de toutes les confessions», a-t-il ajouté.
« La réunion a été plus que positive », commente pour notre journal Mohammad Afif Naboulsi, porte-parole du Hezbollah. On apprend également que cette visite – qui survient dans un contexte de tension extrême entre le CPL, jadis le seul allié chrétien du parti chiite, et ce dernier – était principalement destinée à rassurer l’ancien chef de l’État pour ce qui est d’une extension de la guerre au Liban. « Les membres de la délégation ont expliqué en détail les opérations sur le front sud en précisant qu’elles sont destinées à défendre le Liban. Cela a contribué à rassurer M. Aoun, surtout pour ce qui est de notre position de ne pas entraîner le Liban dans une guerre généralisée », a précisé le porte-parole.
Il y a quinze jours, l’ancien président s’était lâché contre la « résistance », stigmatisant les combats transfrontaliers avec Israël. « Nous ne sommes pas liés à Gaza par un traité de défense. (…). Dire que la participation à la guerre est un acte préventif contre toute agression israélienne est simplement un point de vue », avait déclaré Michel Aoun. Des propos relayés le lendemain par Gebran Bassil, qui a également indiqué qu’il était contre « le principe de l’unité des fronts ».
Un lourd passif
Si l’engagement du parti chiite au Liban-Sud a été la goutte de trop pour le CPL, les relations entre les deux alliés ne sont pas au beau fixe depuis que Michel Aoun a quitté Baabda. Outre l’obstination du Hezbollah à promouvoir la candidature du chef des Marada à la magistrature suprême, il y a eu l’épisode de la prorogation du mandat du commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun, une figure mise, tout comme M. Frangié, à l’index par les aounistes. Le fossé s’est également creusé avec l’attitude considérée comme conciliante du Hezbollah par rapport au Premier ministre sortant Nagib Mikati qui, aux yeux du CPL, bénéficie d’un champ libre qui dépasse ses prérogatives pour gérer le pays en l’absence d’un président.
Toutefois, la question de la présidentielle n’a été évoquée que rapidement lors de la rencontre de Rabié. « Le parti a assuré à M. Aoun qu’il ne lie aucunement cette échéance à ce qui se passe au Liban-Sud. Il a insisté sur le fait que la présidentielle est une affaire éminemment interne et concerne les blocs et leurs positions respectives », a précisé M. Naboulsi en réponse aux accusations lancées par M. Aoun. « Traduire les développements à Gaza et au Liban-Sud en une sorte de marché présidentiel va à l’encontre de la souveraineté » avait-il dit.
Malaise chrétien
Du côté du CPL, cette visite est à placer dans le contexte d’un malaise au sein de la communauté chrétienne dans son ensemble. « Le Hezbollah s’est rendu compte que le fossé a beaucoup grandi entre chrétiens et musulmans et risque d’atteindre un point de non-retour », commente anonymement un cadre du CPL. « S’il passe par Michel Aoun, c’est parce qu’il représente le parti chrétien le moins hostile », ajoute ce cadre. Ce qu’il ne dit pas toutefois, c’est que le parti chiite préfère de loin traiter avec l’ancien président qu’avec Gebran Bassil, qualifié d’« impulsif » et d’« imprévisible ». Sauf que le message de conciliation vaut également pour le chef du CPL.
La visite du parti chiite à Rabié, la première depuis un an, vise vraisemblablement à jeter les bases d’une réconciliation avec le seul acteur susceptible d’apporter une couverture chrétienne au Hezbollah, de plus en plus isolé sur la scène interne depuis que la guerre gronde à la frontière. « Nous devons montrer nos bonnes intentions et insister sur une communication responsable entre tous les groupes concernés, afin de résoudre les principaux problèmes dont nous souffrons », a tenu à souligner Mohammad Raad depuis Rabié.
« Le plus important est que cette rencontre a brisé la glace », commente Mohammad Afif Naboulsi, comme pour dire que cette rencontre n’est que le début du processus. « Je ne sais pas exactement si cette initiative portera ses fruits. Pour l’instant, c’est une démarche visant à tâter le terrain. Elle sera probablement suivie par d’autres rencontres avec des hauts cadres du parti », commente une source proche de Michel Aoun.
Il reste à voir si la base aouniste, mais aussi Gebran Bassil – qui a quasiment enterré l’accord de Mar Mikhaël conclu avec le Hezbollah en 2006 –, serait prête à opérer un revirement en direction du parti chiite. « Il est très difficile que la base aouniste modifie son attitude. La blessure est profonde », commente le cadre du CPL. Dans les milieux du parti, on estime que Michel Aoun a le sentiment d’avoir été poignardé dans le dos durant son mandat. Il en veut au Hezbollah d’avoir tout fait pour préserver ses bonnes relations avec Nabih Berry, souvent aux dépens du CPL. Le président du Parlement est accusé par le parti orange d’avoir œuvré à torpiller systématiquement le mandat de l’ancien président. « Quand il était à Baabda, Michel Aoun avalait la pilule, évitant de créer des problèmes avec le Hezbollah. Mais maintenant qu’il est libéré de cette responsabilité, il n’est plus obligé de se retenir », ajoute le cadre aouniste.
C’est probablement le commentaire d’un internaute qui résume le mieux l’état auquel sont parvenues les relations entre les deux formations. « Si les parents du défunt se sont réunis, cela ne veut pas dire que ce dernier ressuscitera », a-t-il écrit jeudi sur un réseau social.
« De toute manière, le CPL n’a plus rien à offrir au Hezbollah », conclut le cadre aouniste. Comprendre que c’est probablement au parti chiite de donner quelque chose en retour.