D’abord, on a informatisé. Dans les années 1980, en France et ailleurs, l’alignement du public sur le privé conduit à doter les fonctionnaires de micro-ordinateurs qui contribuent à mesurer leur productivité. Depuis les années 2000, on numérise. En principe au bénéfice de la qualité du service public rendu à l’usager; en réalité pour abaisser son coût. Contrairement à ce que prétendent leurs tenants, la numérisation comme la «dématérialisation» visent surtout à réaliser des économies. Ou à lutter contre la fraude, avec pour corollaire une complexification des démarches, en particulier de celles exigées des plus précaires.
Revenu de solidarité active (RSA), allocation aux adultes handicapés (AAH), allocations familiales ou aides au logement : les prestations des caisses d’allocations familiales (CAF) profitent à trente-deux millions de personnes. Depuis 2010, à partir des données provenant des connexions aux sites, des réponses aux formulaires électroniques ou des échanges de courriels, un algorithme attribue à ces foyers un score de suspicion. Plusieurs circonstances augmentent la note — être au chômage ou au RSA, habiter un quartier défavorisé… — jusqu’au seuil qui déclenche le contrôle.
Le montant total récupéré en 2022, y compris les indus versés à la suite d’erreurs d’usagers perdus face aux multiples critères et pièces justificatives exigés pour percevoir les minima sociaux, ne représente qu’un centième des prestations versées. Mais la politique de surveillance algorithmique et la peur qu’elle inspire se traduisent par des économies indirectes. Car nombre d’usagers renoncent à leurs droits plutôt que de subir des contrôles toujours plus intrusifs et de rendre des comptes toujours plus compliqués : cette motivation expliquait un cas sur cinq de non-recours aux prestations sociales en 2021, contre moins d’un cas sur dix en 2016.
La «dématérialisation» contribue ainsi à limiter l’accès aux services publics à une partie de la population. De par leur formation initiale, leurs expériences (…)