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1 Maggio 2024Pourquoi la Palestine mobilise une partie de la jeunesse occidentale
Plus d’une vingtaine de campus aux États-Unis. Sciences Po Paris et la Sorbonne en France. Leeds University, University College London ou encore Warwick University au Royaume-Uni. McGill et Concordia au Canada… La liste des établissements européens et nord-américains qui se mobilisent actuellement pour protester contre la guerre menée par Israël contre la bande de Gaza – qualifiée de génocidaire par nombre de militants – n’en finit plus de s’allonger. Une séquence politique internationale qui revêt un caractère à la fois « anachronique » et ultracontemporain. « Anachronique » car elle réactive une grille de lecture Nord-Sud que beaucoup de conflits de ces dernières années ont eu tendance à complexifier ou à remettre en cause. « Anachronique » aussi car la question israélo-arabe, de nature coloniale, est née au cours d’un XXe siècle marqué par les différentes vagues de décolonisation. En ce sens, la mobilisation actuelle d’une partie de la jeunesse estudiantine occidentale ravive les grandes luttes anticoloniales et anti-impérialistes d’hier, comme celle en faveur de l’indépendance algérienne ou contre la guerre du Vietnam. Mais elle poursuit également les combats antiracistes d’aujourd’hui. Aux États-Unis notamment, dans le sillage du 11-Septembre et de la « guerre contre la terreur » – et en réaction à la montée du racisme antiarabe et/ou antimusulman –, une politique fondée sur les coalitions s’est développée. Toute une partie de la jeunesse concernée a commencé à s’identifier aux luttes menées par d’autres minorités, en particulier par les Afro-Américains. La politique étrangère US a remis au goût du jour auprès d’une frange de la population certaines formes de solidarité en exacerbant par exemple le parallèle entre la situation d’oppression des Noirs aux États-Unis et celle des Palestiniens en Palestine.« Cette génération a été témoin du meurtre de George Floyd et de la montée du mouvement Black Lives Matter il y a quatre ans. Il existe une conscience du racisme structurel, et du fait que les politiques raciale et coloniale aux États-Unis et à l’étranger sont étroitement liées », avance le romancier, poète et professeur associé à l’Université de New York Sinan Antoon.
En France, l’engagement pour la Palestine est loin d’être récent. Depuis la guerre de 1967 et l’occupation par Israël de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, la question palestinienne constitue ainsi l’un des combats internationaux principaux à gauche, hors Parti socialiste.
À l’échelle mondiale, ces bouillonnements universitaires s’inscrivent donc dans le temps long, mais atteignent aujourd’hui leur paroxysme, et ce pour plusieurs raisons.
« De toute évidence, il y a le fait qu’il s’agit du niveau de violence le plus flagrant auquel nous assistons en Palestine depuis un certain temps. La comparaison la plus proche est celle du Liban en 1982 », note Dana el-Kurd, professeure assistante dans le département des sciences politiques de l’Université de Richmond. Avec l’invasion du pays du Cèdre par Israël au début des années 1980, l’image de marque de l’État hébreu commence à être sérieusement écornée auprès des opinions publiques européennes et US, surtout après les massacres de Sabra et Chatila perpétrés par des milices chrétiennes soutenues par Israël.
« Contre leurs parents »
La place graduelle acquise par la question palestinienne, dans le discours progressiste américain notamment, est aussi le fruit d’une lente gestation, nourrie par les évolutions que connaissent les communautés palestinienne et arabes américaines, d’une part, et juive américaine, de l’autre. « Une grande partie des organisations juives qui sont actives en ce moment – mis à part Jewish Voice for Peace dont l’engagement est de longue date –, comme If Not Now ou des groupes en faveur d’un cessez-le-feu ont commencé à s’impliquer sur ce sujet au lendemain de la campagne israélienne contre Gaza de 2014. La violence n’était pas aussi terrible qu’aujourd’hui, mais elle avait déjà atteint un niveau élevé », dit Dana el-Kurd, qui souligne également l’impact de l’intifada de l’unité en 2021. « Cela a joué un rôle assez crucial à travers la diffusion croissante de journalistes, d’écrivains et d’activistes palestiniens dans les médias anglophones. »
Mais alors que les campus sont en ébullition, des voix s’élèvent pour reprocher à la jeunesse concernée une solidarité à géométrie variable, un engagement ardent pour les Palestiniens qui trancherait avec son silence sur la répression de la République islamique contre ses opposants, sur les crimes commis par le président syrien Bachar el-Assad contre son peuple ou sur les crimes de la Russie en Ukraine. S’il est vrai qu’aucun conflit dans le monde ne déclenche des passions aussi vives que celui qui oppose Israël aux Palestiniens, s’il est vrai également qu’hormis la Palestine et l’Ukraine, peu de dossiers internationaux liés aux droits humains mobilisent les sociétés civiles du Nord global, l’intérêt pour la Palestine s’explique par un sentiment de responsabilité, voire de culpabilité. « Les jeunesses occidentales n’ont jamais manifesté en masse pour défendre des causes dont leurs propres pays n’étaient pas directement responsables, écrit dans le quotidien français Libération Thomas Legrand. Les jeunesses du monde entier se révoltent en priorité contre leurs parents, c’est-à-dire contre l’action de leur gouvernement. Ce fut le cas contre la guerre d’Algérie puis contre la guerre au Vietnam. C’est le cas contre l’inaction climatique (ou la faiblesse de l’action climatique) à leurs yeux. »
Or les gouvernements occidentaux sont nombreux à soutenir militairement et/ou financièrement l’État hébreu et ses orientations politiques et idéologiques. Dans son dernier rapport, l’organisation des droits humains Amnesty International affirme que l’armée israélienne a utilisé des armes fabriquées aux États-Unis, dont des munitions d’attaque directe conjointe (JDAM) et des bombes de petit diamètre (SDB), pour mener des offensives illégales ou tuer des civils dans la bande de Gaza. Et Washington constitue depuis longtemps le principal soutien militaire d’Israël, fournissant plus de 3 milliards de dollars par an en aide à la sécurité. Il est de surcroît le seul État au monde à pouvoir aujourd’hui un tant soit peu exercer une pression sur Israël pour qu’il cesse à court terme sa campagne de bombardements contre la bande de Gaza.
« J’étais à Ann Arbor durant le Vietnam. Mais depuis lors, je n’ai jamais vu une question de politique étrangère bouleverser les eaux intérieures comme la guerre entre Israël et le Hamas, écrit sur Twitter l’analyste et ancien négociateur américain Aaron David Miller. Pas même lorsque les Américains combattaient, mouraient et tuaient des milliers de civils afghans et irakiens au cours des deux plus longues guerres de l’histoire américaine. »